Intuitions, P. Cleave

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Intuitions, de Paul Cleave (NZ), Sonatine, 2020

Synopsis :

Rien ne sert de fermer les yeux.

Inspecteur aux homicides de Christchurch, Mitchell Logan est sur la piste de l’assassin d’une jeune femme, qu’il soupçonne d’être un tueur en série. Au moment de l’appréhender, Logan se fait tuer. Conformément à ses dernières volontés, un don d’organes permet à son fils adoptif, Joshua, 16 ans, de retrouver la vue. L’opération se déroule parfaitement mais Joshua devient vite la proie de mystérieuses visions. Les yeux qu’on lui a greffés auraient-ils une mémoire ? S’il est maintenant capable de voir le monde qui l’entoure, c’est dans des ténèbres beaucoup plus dangereuses qu’il va pénétrer en essayant de percer les secrets de l’inspecteur Logan et de mener à bien une enquête aux rebondissements incessants.

Prenant pour toile de fond la mémoire cellulaire, Paul Cleave nous propose un nouveau puzzle diabolique, aux pièces plus intrigantes et effrayantes les unes que les autres.

Avis : 5/5

Personnages : 5/5
Décors : 5/5
Trame : 5/5
Emotion : 5/5
Globale : 5/5

Dernier Paul Cleave en date, Intuitions n’a qu’une seule mission : faire aussi bien sinon mieux que ses précédents romans ! Cet auteur si atypique a-t-il rempli le contrat ? 

Bien que les chapitres ne se succèdent pas avec les mêmes personnages, Joshua a bel et bien un rôle prépondérant. Cet ado est aveugle de naissance, ses parents ont été victimes de la malédiction familiale, comme il le pense, et c’est son oncle Mitchell qui en a la garde. Au décès de ce dernier, comme écrit dans le synopsis, il lui fait don de ses yeux afin de lui permettre de voir enfin le vrai monde à travers ce sens inconnu. Forcément, tout ne se passe pas comme prévu et Joshua va vite ressentir des effets secondaires tant physiquement que socialement. Collègue de son père, l’Inspecteur Ben veille sur lui. Là aussi, ce personnage cache quelques cadavres dans son placard… tout comme Mitchell. Lorsque l’Inspecteur Audrey Vega fait équipe avec Ben, elle ne tarde pas à découvrir certains secrets. Cette battante va avoir du pain sur la planche mais elle est forgée pour ça, l’action pure, car parfois les règles méritent d’être contournées.
A l’école, Joshua va se lier d’amitié avec Olillia, prénom arrivé par hasard. Cette ado a toujours le sourire, est bavarde, très audacieuse et fidèle à son nouvel ami contre vents et marées. Son soutien devient d’ailleurs vital. A l’opposé, Scott, un élève des plus turbulents, est bien décidé à pourrir la vie de celui qu’il nomme « le monstre ». Pas de chance pour lui, Cleave est souvent redoutable niveau karma.
En parallèle, on suit les péripéties de Vincent, le meilleur ami de celui qui a tué Mitchell et qui ne désire qu’une seule chose : se venger. Pourtant, il demeure maladroit, peu discret et franchement limité intellectuellement. 
Dernier personnage intéressant, le fameux Samaritain, dont on ne sait que vers la fin si c’en est un bon ou un mauvais…
Une nouvel fois, l’auteur parvient à se démarquer avec ses figures. Aucun individu est tout lisse, pas de superhéros haut en couleurs. Intuitions ne surprendra pas les lecteurs habituels de Cleave.

Christchurch, Nouvelle-Zélande. Encore une fois, Paul Cleave nous entraîne sur son terrain favori, sa ville. Tout le décor se situe dans cette ville malheureusement connue pour d’autres raisons dernièrement. Le climat de l’Equateur-Sud, l’autarcie des autochtones, les descriptions pincées au premier degré, la simplicité sans métaphore et une dose chirurgicale de détails épicent à merveille le roman. A aucune reprise j’ai pensé : « Tiens, cette phrase est purement inutile ». On arrive ainsi à se plonger aisément dans les divers tableaux proposés, rendant la lecture agréable.

Le fil rouge est déjà bien défini dans le synopsis. Ce qui n’est pas précisé, forcément, c’est l’imprévu, le grain de sable dans un rouage bien huilé. Cette anomalie, c’est le chapitre 7 qui demeure typique de cet auteur au cynisme profond. L’effet domino prend forme et chamboule tout sur son passage. On glisse vers le domaine de la justice, de la médecine, du harcèlement scolaire et du sadisme. Un tel mariage sur 370 pages, ça détonne et ça vaut le détour. La plus est magique, efficace, les chapitres de bonnes longueurs et des retournements de situations ubuesques. Un texte bien plaisant dont on se délecte en continu avec souvent de sacrées barres de rire.

Les éléments essentiels sont réunis pour amener de l’action, du suspense, de drôles de moments, des passages inhumains et surtout une curiosité qui pique au vif. Là où désire nous emmener Paul Cleave, c’est dans son univers loufoque et tragico-comique qui nous fait traverser une palette d’émotions variée, de long en large, et à plusieurs reprises.

Un bon tour de force de Paul Cleave qui, sans se répéter, sans réinventer la roue, délivre ici un polar bien ficelé, addictif, sombre et drôle à la fois. L’alchimiste de l’humour grinçant a encore de beaux succès à concocter du côté de chez Sonatine !