Générations poing levé, C.C & K.N.
Générations poing levé, de Chloé Célérien & Karim Nedjari (FR), Hachette (Marabout), 2021
Synopsis :
Quel est le point commun entre Mohamed Ali, le plus grand boxeur de tous les temps, et Megan Rapinoe, la footballeuse badass aux cheveux roses de l’Amérique Anti-Trump ?
Ils ont atteint la perfection, ont décroché des médailles, et vécu la gloire. Mais ce sont surtout des poings levés, qui, à un moment de leur existence enviée, ont osé sacrifier leurs privilèges pour défendre une cause plus grande que leur statut de champion adulé.
Riche d’anecdotes authentiques, cet album raconte le destin de ceux qui ont ouvert la voie. Celui de femmes et d’hommes qui ont écrit l’histoire politique, sociale, ou culturelle du sport en le conjuguant au passé, au présent et au futur.
Générations Poing Levé, quand le sport percute l’histoire.
Avis : 4.4/5
Personnages : 5/5
Décors : 5/5
Trame : 4/5
Emotion : 4/5
Globale : 4/5
Grosse pépite pour bien débuter cette nouvelle année avec ce livre graphique reçu via Babelio et sa Masse critique. Des textes de Karim Nedjari, chroniqueur connaisseur et avisé vu sur la chaîne L’Equipe et des dessins merveilleux de Chloé Célérien. Les deux auteurs se sont bien trouvés pour nous raconter les histoires de dix sportifs et sportives ayant osé lever le poing afin de militer pour telle ou telle cause, faire bouger des lignes trop verrouillées quitte à brusquer un peu la société de leur époque.
Voici la liste des dix personnages que vous connaissez peut-être :
- Marcus Rashford
- Mohamed Ali
- Surya Bonaly
- Tommie Smith
- Megan Rapinoe
- Caster Semenya
- Arthur Ashe
- Nadia Comaneci
- Socrates
- Hiyori Kon
Chaque histoire demeure singulière et parlante et chacune mériterait un petit paragraphe. Malheureusement, il fallait en choisir un afin de le développer davantage. Mon choix s’est porté sur un homme qui, il y a peu encore, habitait mon appartement sur un poster : Tommie Smith.
Mon héros, Tommie Smith
« Une image vaut mille mots », pensait Confucius. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Il s’agit d’un podium aux Jeux Olympiques de Mexico, en 1968. Tommie Smith, USA, médaille d’or, Peter Norman, AUS, médaille d’argent et John Carlos, USA, médaille de bronze. Les deux Américains n’adoptent pas la position habituelle mais plutôt celle-ci : tête baissée, un poing levé avec un gant noir, Smith sans chaussures mais en chaussettes noires, avec un badge politisé sur lui, Carlos veste ouverte, avec un collier de perles noires. Les symboles pleuvent et interpellent le monde entier. Le comité olympique frappe fort et disqualifie les athlètes américains, les renvoyant à la maison. On ne mélange pas impunément politique et JO, quand bien même il s’agit d’un message sur les droits humains.
A noter que le mouvement Black Power avait plutôt désiré que les Afro-américains boycottent ces JO pour marquer le coup. Dans les années 60, l’ambiance aux USA est nauséabonde et les assassinats consécutifs de Martin Luther King et Malcolm X n’arrangent rien.
Autre détail : le troisième homme a soutenu la démarche des Américains, attirant les foudres de ses compatriotes, avec menaces de mort et fin abrupte de sa carrière sportive. Décédé en 2006, le cercueil de Norman est porté par Smith et Carlos, les trois étant restés amis.
Il y aurait encore beaucoup de choses à raconter sur la vie de Tommie Smith, d’où il vient, ses études, la question raciale dans son université, le FBI qui a un oeil sur lui à son retour des JO, etc.
Des exemples à suivre
Certains pensent que les sportifs sont frappés d’égocentrisme, d’autres que seul l’aspect pécunier les intéresse. Enfin, des mouvements sociaux, des groupes culturels ou des syndicats trouvent que les sportifs ne s’engagent pas assez, pas peur que leur militantisme entame leur image. Ici, vous découvrirez tout le contraire ! Footballeur, footballeuse, patineuse artistique, athlète, tennisman, gymnaste ou sumo, nos dix personnages sont allés contre vents et marées, dénonçant racisme, l’accès à de la nourriture, droits humains bafoués, religion mal acceptée, sexisme, dictature ou sport réservé aux hommes. Face à eux se dressaient des obstacles gigantesques tels que Boris Johnson, un président américain d’une rare stupidité, le Ku Klux Klan, des juges n’appréciant pas la couleur de peau d’une candidate et son style extravagant, la sous-notant, une athlète devant prouver qu’elle est une femme, un patriarcat ancestral, etc.
La grande question demeure : un sportif peut-il profiter de sa notoriété pour militer pour une cause qui le touche ? Tout un débat.
Pour un roman graphique, style que je ne lis pour ainsi dire jamais, Générations poing levé passe largement l’épreuve de la réussite. Karim Nedjari et Chloé Célérien varient entre humour, émotions vives et brûlantes et anecdotes. L’intérêt des sujets traités me paraît universel et les auteurs délivrent ici un message fort et… poignant. N’importe quelle amateur de sport, d’histoire ou même de sociologie peut y trouver son compte. Bravo aux auteurs !
Dernier mot avec l’image ci-dessous, tiré du chapitre relatif à Tommie Smith. Il s’agit du QB des 49 de San Francisco ayant osé ne pas chanter l’hymne avant un match et poser un genou à terre pour s’opposer aux crimes perpétrés contre des Afro-américains il y a quelques années. Le Président a même pris la parole en public, demandant à « faire virer ce fils de pute ». La franchise californienne ira dans ce sens avec la NFL, et Colin Kaepernick perdra sa carrière pour ce geste. Avec le recul, les joueurs ont le droit, aujourd’hui, d’apporter un message politique sur le terrain ; chose impensable avant le sacrifice de Kaepernick.